Loïc Legalec’H, vient d’apprendre le décès d’un père qu’il n’avait jamais connu.
Sur les conseils du notaire, il se rend dans la maison de retraite dans laquelle son géniteur a fini sa vie.
Il est accueilli par une directrice qu’il a du mal à cerner. Après avoir eu une conversation étrange avec elle, il s’apprête à regagner son véhicule et à tirer un trait sur cet épisode.
Extrait du chapitre II :
Sur le chemin qui menait de l’établissement au parking visiteur, l’idée me vint soudain d’aller rendre visite à mon géniteur à sa dernière demeure. J’en informai Madame Vasseur et lui demandai le chemin du cimetière.
Elle me répondit avec une sorte de soulagement dans la voix et m’indiqua le chemin le plus simple pour s’y rendre.
Soudain, je la sentis préoccupée par une pensée qu’elle ne verbaliserait pas. Son pas se ralentit. Nous étions presque arrivés à ma voiture quand la directrice s’arrêta net et m’interpela : « Il ne reste pas grand-chose de lui ici : quelques vêtements et une valise qu’il conservait comme la prunelle de ses yeux. Elle vous revient de droit, voulez-vous l’emporter ? »
Je lui répondis machinalement par l’affirmative. Je ne voyais pas lui répondre « non, jetez tout à la poubelle ». Elle alla me la chercher. Elle revint d’un pas décidé quelques minutes plus tard et me la confia. Il s’agissait d’un attaché-case en similicuir, comme on n’en fabrique plus depuis longtemps. Il avait beaucoup voyagé et était en piteux état : coins élimés avec de nombreuses griffes et déchirures. Au moment où elle me la confiât, je sentis confusément qu’elle avait envie de me dire quelque chose. Je ne lui ai pas laissé le temps de passer à l’acte.
Je pris la valise et la déposai dans le coffre de ma voiture en me promettant de l’ouvrir une fois rentré chez moi. Cet objet semblait en si piteux état que je ne lui aurais pas fait l’honneur de voyager sur un siège passager. Je ne suis pas un maniaque de la propreté, mais quand même !
En reprenant la route, je me suis interrogé sur son comportement. Elle n’avait pas préparé la valise qu’elle m’a confiée. Comme si elle avait pris la décision de me la remettre au dernier moment. Je trouvais cette attitude étrange. De plus, elle ne m’a pas fait part d’une quelconque consigne de mon géniteur. Son geste procédait-il d’une initiative personnelle ou d’une consigne implicite ? Je n’en avais aucune idée et ce fait me dérangeait.
Pris par un sursaut d’empathie filiale qui me surprit moi-même, je suis allé machinalement faire un tour au cimetière du village. Je me suis adressé à un employé municipal qui désherbait une allée. Il m’indiqua l’emplacement de la tombe de mon père. Comme mon géniteur était la dernière personne à avoir été enterrée, il n’eut pas à fournir un gros effort de mémoire.
Sa tombe était toute simple et ne comportait, comme convenu, aucun signe religieux. On ne pouvait y voir aucune pierre tombale. Le cercueil avait dû être déposé au fond d’un trou qui avait ensuite été rebouché. Sur la terre fraîchement remuée, je ne vis dans un premier temps qu’une composition un peu défraîchie qui portait la mention « le personnel de la maison de retraite Les Jours Heureux ». Je vis aussi, presque par hasard, une planche de couleur bois foncée, posée sur la terre, que l’on distinguait à peine à cause de la proximité de leur teinte. En l’observant, j’y lus un texte écrit en majuscule : « Pleased to meet you, I hope you guess my name».
Les mots avaient été gravés sur deux lignes, sans doute avec un couteau sur une planche de bois usagée. J’ai pensé qu’il pouvait s’agir d’une porte appartenant à une armoire ou d’un meuble en bois brut quelconque.
Mon niveau d’anglais était suffisant pour traduire le texte : « heureux de vous rencontrer, j’espère que vous devinez mon nom »
Cette phrase m’intrigua. Je n’en comprenais pas vraiment le sens. Peut-être un message pour le portier du paradis ? Une dernière fanfaronnade ? La citation d’un poème anglais ?
Je me promis d’en parler à ma femme Gaëlle et à Tonton. Je me suis aussi dit que la directrice de la maison de retraite pourrait m’en dire plus. Je rejoignis ma voiture et je l’appelai.
J’ai réussi à la joindre sans aucun problème et elle répondit volontiers à mes questions.
Elle me dit que c’était sa dernière volonté, il lui avait demandé de placer cette pancarte qu’il avait fabriquée lui-même. Il y a quelques mois, il lui avait demandé s’il pouvait récupérer la porte d’un vieux bahut destiné à la déchetterie et elle lui avait fait ce petit plaisir sans hésiter.
Elle l’avait vu s’appliquer à graver des lettres une à une, mais comme elle ne parlait pas anglais, elle n’avait aucune idée de la signification des phrases écrites.
Elle se ressaisit et me demanda s’il n’y avait aucun contenu blasphématoire sur cette pancarte.
Je lui répondis par la négative en précisant que de mon point de vue, il s’agissait d’une citation extraite d’un poème anglais. Cela sembla la rassurer.
Pris d’une pulsion de sentimentalisme, j’ai demandé à l’employé municipal (je n’ose pas employer le terme de cantonnier qui me paraît particulièrement péjoratif) s’il y avait un fleuriste à proximité.
Il m’indiqua l’adresse de celui du village et, sans vraiment me reconnaître, je suis allé acheter un bouquet pour garnir sa pauvre tombe. Je revins le déposer et je mis dans la benne disposée à l’entrée du cimetière la couronne fanée. J’essayais d’avoir une pensée pour lui. Je restais immobile devant sa tombe sans qu’aucune phrase de circonstance ne me vienne à l’esprit. Ayant pris conscience de ce vide compassionnel, je décidai de quitter ce lieu.